La perfection
Ça s’annonçait comme un samedi normal. Entraînement, petit-déjeuner en ville, tour des boutiques. Elle prendra des chaussures à talon aiguille, une robe courte. Le vêtement essayé exposera ce qui devrait rester caché – une partie de corps frivole. « Magnifique mais pas mon style » – annoncera-t-elle.
Ses jambes sont en tête de la liste des choses qu’elle méprise. À cause de ses jambes, elle était souvent de mauvaise humeur. Elle pensait que si elles étaient maigres, sa vie se serait passée différemment. Empoisonnée par une attaque de neurasthénie particulièrement forte, elle est allée une fois chez le chirurgien esthétique.
Déshabillée, elle était en face du médecin qui ressemblait à Freud et qui faisait les consultations entouré de meubles anciens. En la regardant soigneusement, il a sorti des photos de VRAIS défauts des extrémités en insistant bien sur le mot « vrais ». Elle en est sortie sur les mêmes jambes avec lesquelles elle était venue, et elle les utilisait comme avant, alors sans gratitude.
Dans les cabines d’essayage, elle comparait ce que lui renvoyait le miroir avec l’idée qu’elle avait d’elle-même inspirée par les photos de Vogue. L’objet revenait à l’étagère. Elle quittait le magasin dans ses vieux vêtements, alors sans les défauts visibles pour autrui, en considérant avec soulagement qu’elle avait fait des affaires. Mais elle se sentait attirée par les talons hauts et les choses courtes. « Si je pouvais me permettre, je m’habillerais comme ça. », soupirait-elle. Mais ce n’était pas la question d’un manque de moyens financiers.
Ce jour-là, elle a découvert que tout près de son magasin de chaussures préféré, on avait ouvert une librairie pour enfants. Dans la vitrine : « Les contes d’Andersen », sa couverture attirait par des escarpins rouges. Le souvenir de l’odeur du livre lu par son père quand elle était enfant lui revint, du livre qui était trop difficile pour un enfant. Le contenu incompréhensible du conte lui revint. Les escarpins rouges, ils bougent tous seuls, ils forcent la fille à danser sans cesse. Ils ne permettent pas d’émousser l’appétit, de vivre aux chimères de la perfection. « J’emmerde la perfection, au moins aujourd’hui. » – marmonne-t-elle. Elle passe au magasin de chaussures comme si elle devait faire face à une catastrophe, récupérer les jambes amputées avant de se tromper de nouveau.