Elle est toujours belle
Un jour, dans longtemps, je reprendrai probablement certaines habitudes énervantes de ma mère. Ce sera peut-être sa tendance à analyser sans fin ses blessures, celles réelles et celles imaginaires, ou
peut-être son incompréhension sereine des relations de cause à effet qui sont incommodes pour elle. Un jour, dans longtemps, je serai à sa place et elle à la place de sa mère, dont elle est en train de me parler.
« Tu ne peux pas imaginer ce qu’elle fait ! Elle a enlevé son plâtre ! Je t’ai déjà dit qu’elle s’était cassé le bras, non ? Je l’avais quittée des yeux pour une seconde. Heureusement, elle n’est pas tombée dans la cave et elle n’est pas morte, un procureur s’en serait occupé. Nous avons dû aller deux fois aux urgences. Elle se salit, je ne vais même pas te dire ce qu’elle fait. C’est comme si j’étais assignée à surveiller un fou. J’ai peur de ce qu’elle inventera, j’ai peur aussi pour ma santé psychique ! »
Elle devait parler. Sans arrêt. Ses paroles étaient plaines de désirs étouffés. Des épisodes suivants de la série « MERE ». Elle voulait être généreuse pour elle, pardonner le passé, entretenir la dépendance de vieillesse de la manière affectueuse, mais ses actions ne donnaient jamais vie à un acte plein d’amour.
« Elle se déshabille tout le temps. Ça lui arrive de sortir dans la rue toute nue. Elle ne lit pas de journal. Elle me soupçonne tout le temps de lui avoir volé ses bijoux, ses billes en plastiques ! J’ai envie de l’étrangler. La démence progresse. Après tout, elle a déjà 94 ans. Et peut-être que son esprit troublé la protège contre quelque chose. Elle n’avait jamais voulu être en contact avec la réalité. Mais tu sais, quand elle marche, elle est droite comme un i et après que je la lave, l’habille et la coiffe, elle est toujours belle. »