Des rubans
Le temps n’a pas éradiqué sa féminité, il ne l’a jamais faite vieille. Elle étudiait des magazines avec confiance. Vogue était une autorité pour elle. L’apparence et son influence sur les destins des gens, c’était ce qui l’intéressait. Elle ne s’arrêtait à rien, à l’exception des vêtements. Elles réagissait brièvement aux dilemmes : j’étais stupide, j’aurais dû vivre esthétiquement.
Nous allions souvent au cimetière. Elle aimait les émotions fortes et les détails macabres. J’ai appris quel défunt terrorisait qui, pourquoi et comment. Qui mettait « cette fidélité à soi » devant le nez de qui. Quels mariages ont été déjà rompus, qui s’est suicidé à cause de qui. Et comment il l’a fait exactement. De quoi il avait l’air avant et après sa mort. J’étais aussi mise devant les devinettes : Faut-il être étonné que l’assistant du fossoyer qui avait 19 ans était tout frais ? Elle parlait sans réfléchir si ses mots étaient appropriés pour les oreilles d’un enfant ou non.
Lorsque nous tombions sur des funérailles, elle guignait le cercueil. Elle ne débattait pas la souffrance de la fin de vie. C’est évident qu’on ne peut pas l’influencer, mais la tenue ? C’est un scandale ! C’est immoral de quitter la terre dans une telle tenue. On ne peut pas perdre le contact avec la réalité – maugréait-elle. Ensuite, elle me permettait de voler des rubans brillants des tombeaux en disant que ça détournerait l’attention du défunt. Nous rentrions à pied en faisant une petite pause dans un café. Elle soupirait et finassait ses histoires avec la tranquillité en écrasant un mégot dans un cendrier.